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Diégèse du Rêve, Croisement Bouzeguene / Paris

Installation vidéo, Février 2014


diégèse (du grec ancien διήγησις / diếgêsis) a deux acceptions : dans les mécanismes de narration, la diégèse est le fait de raconter les choses, et s’oppose au principe de mimesis qui consiste à montrer les choses ;c’est l’univers d’une œuvre, le monde qu’elle évoque et dont elle représente une partie.

Pauline Laurent nous donne à voir un film qui suit la dynamique des poupées russes, découvrant, par étapes, des éléments contenus les uns dans les autres. Ce procédé opère comme une mise en abime. Mise en abime des thèmes du souvenir et de sa narration, ici intimement liées et omniprésents.

    La première poupée / contenant est ce journal. Elément daté, plus encore, qui trouve communément sa raison d’être dans son caractère d’actualité, se référant à un jour forcement passé. Un passé distant. Cette distance nous est signifiée : ce journal semble vieux, son papier ridé, déchiré, troué, son encre passée, c’est un objet qui a ‘vécu’. Et qui nous fait part de vécus. Par les histoires qu’il raconte, les narratifs qu’il contient. Et en ceux-ci nous trouvons une deuxième poupée contenue dans la première.
    
    Ces histoires, ces gros titres (La tribune, Détente, mots fléchés, mots croisés, rêveurs ?) dont des bribes nous parviennent (‘Paris – Alger’… ‘A la recherche’… ‘Evénement’…‘les projets entre l’Algérie et la France vont bon train’…’renaissance du jardin’) sont maintenant dépliés pour nous découvrir, littéralement cette fois, un objet, une troisième poupée. C’est un miroir, objet chargé de significations, formulées, suggérées ou supposées, à fort pouvoir  symbolique et poétique. Ce miroir est brisé, ce qui multiplie encore ce pouvoir et oriente quant à son interprétation car le miroir brisé annonce ou représente, selon la superstition, le malheur à venir, la mauvaise chance.
    
    Ceci introduit une violence qui fait écho à celle qui effleurait déjà notre esprit, celle qui est inévitablement impliquée par l’association des noms de France et d’Algérie (ou de Paris et d ‘Alger) qui nous est apparue plus tôt, même furtivement. La présentation de ce miroir brisé est une narration en elle-même. Immédiatement, la brisure, plus que le miroir lui-même, devient l’élément important, le fait relaté, écho à ceux des lignes du journal. Mais du politique, du social, du public nous allons vers le privé. On se sent plus proche du cœur des poupées russes, du cœur de l’histoire qui se révèle ici, plus proche du cœur de ses protagonistes même peut être? Plus proche dans le temps aussi car, par une logique peut être contestable mais toute spontanée, intuitive, nous nous disons que cette brisure est survenue après les évènements des articles.
    
    Et plus on progresse plus il faut de précaution. Car est manipulé ici, on l’a senti dès les premiers gestes, quelque chose d’à la fois fragile - il est déjà même brisé - et de dangereux, qui peut couper et blesser encore aujourd’hui. Nous avons évoqué la violence. Ce quelque chose peut blesser ces mains narratrices et dont nous n‘avons pas même parlé : après avoir étalé puis révélé ces morceaux éclatés, tranchants, disparates, les mains qui mènent ce mouvement, ce rituel, ces mains vont reconstituer, donner du sens à ces artéfacts du passé. Elles vont faire apparaître et rendre intelligible une image.
    
    Voici la 4ème et dernière poupée russe. Le cœur. Qu’est-ce ? Quelles en sont la nature et la fonction? Est-ce un objet publicitaire, artistique, ou personnel, Un souvenir ? (La métonymie serait complète). Dans tous les cas il nous renvoie lui aussi au passé. Et nous allons plus avant dans l’intimité. Jusqu’à celle du couple amoureux ici reconstitué. Cette histoire fragmentée, qui prend corps, dont les contours semblent se dessiner progressivement contient beaucoup à l’évidence : d’évènements, de passion, de violences…
    
     Il n’empêche que ces mains, habitées par le soin, le respect et le calme du rituel, manipulent ces bribes pour redonner sens et donner à voir une intimité que l’on sent fragile, rêvée, vitale, peut être salvatrice.


                                                                                                             Azad
                                                                                        Artiste plasticien

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